Territoires ultramarins : la France aux avant-postes d’un monde en tension
- Gildas Lecoq
- il y a 3 jours
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Le voyage au long cours qu’Emmanuel Macron a engagé depuis le début de la semaine dans l’océan Indien n’a rien d’anecdotique. Par sa durée – une semaine –, par sa portée – géopolitique, humanitaire, institutionnelle –, et par les territoires qu’il embrasse, ce déplacement présidentiel est une piqûre de rappel salutaire : la France est un pays monde. Et ce monde-là, souvent relégué au rang de lointain décor, est aujourd’hui au cœur des convoitises, des grands enjeux du XXIe siècle et forcément de tensions. Mais surtout, aux yeux de nos compatriotes utlramarins, la France est attendue. Par Gildas Lecoq

Oui dans le bassin indo-pacifique, la France est attendue. Mais elle est aussi contestée. À Mayotte, la souveraineté française continue d’être niée par les Comores par exemple. À quelques encablures, Madagascar revendique les îles Éparses qui ne couvrent que 43 km² mais représentent 640.400 km² d’espace maritime sous juridiction française. L’île Maurice réclame l’île Tromelin, territoire d’un kilomètre carré, où la France assure la présence permanente de 3 personnes, qui se relaient par roulement. En Nouvelle-Calédonie, la Chine tisse patiemment sa toile, sous le regard de l’Australie. Ces revendications ne sont pas anodines : elles visent à éroder une présence française qui dérange car elle pèse.
En effet, grâce à ses territoires ultramarins, la France détient le deuxième espace maritime au monde. Ce n’est pas un simple fait géographique : c’est une opportunité stratégique, économique et environnementale sans équivalent. Ces 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) donnent à notre pays accès à d’immenses ressources marines – halieutiques, bien sûr, mais aussi minérales, énergétiques, biomédicales. Ils lui permettent de participer activement à la régulation des océans, à la recherche scientifique, à la surveillance des routes maritimes, à la lutte contre le pillage des fonds marins et les trafics. C’est une richesse pour aujourd’hui, et un levier d’influence pour demain. Dès lors, la France projette une influence dans cette partie du globe que beaucoup jugent illégitime. C’est précisément pour cela qu’elle doit la réaffirmer.
Mais défendre ses frontières au-delà des mers ne saurait se résumer à un bras de fer diplomatique. Cela impose aussi de regarder en face la situation dramatique que connaît l’un de ces territoires : Mayotte, collectivité territoriale unique française depuis 2011 au statut particulier puisqu’une seule assemblée de 52 élus exerce sur son territoire toutes les compétences dévolues à la région et au département.
Mayotte, territoire martyr d’une République débordée
Quatre mois après le cyclone Chido, qui a balayé l’archipel avec des rafales à 270 km/h, Mayotte est à genoux. Quarante morts. Des îles coupées d’eau, d’électricité, de soins. Et derrière la catastrophe naturelle, la catastrophe humaine : plus de 80 000 personnes en situation irrégulière, un taux de chômage de 37 %, des tensions communautaires aiguisées, une jeunesse désœuvrée, et une population épuisée par l’indifférence.
Comme il l’avait promis au lendemain de sa visite post-cyclone, Emmanuel Macron est revenu. Il a écouté, promis, annoncé sa méthode. Une méthode en deux temps : gestion des urgences, puis reconstruction pérenne.

Une enveloppe de 3,2 milliards d’euros sur six ans. Un plan d’urgence pour l’eau, la santé, l’habitat. Une « loi-programme » pour structurer la reconstruction. La création d’un deuxième hôpital, d’une prison, d’un nouvel aéroport à Grande-Terre pour permettre aux avions gros-porteurs de s’y poser. Des zones franches globale exonérant totalement (à 100%) toutes les entreprises jusqu’en 2029, l’alignement du smic net sur le niveau national au plus tard en 2031, avec l’objectif d’atteindre l’égalité réelle. L’alignement des autres prestations – RSA, allocation adulte handicapé et prestations familiales – n’est pas prévu à ce stade, « en cohérence avec la priorité en faveur du travail » et compte tenu du « niveau des naissances à Mayotte ».
Des moyens pour la sécurité et la lutte contre l’immigration illégale avec le dispositif Shikandra, déjà initié depuis plusieurs mois, dont l'objectif, est de procéder à environ 25000 retours de clandestins, souvent arrivés en kwassa-kwassa, ces barques de pêche à bord desquelles montent de nombreux comoriens, qui aujourd'hui sont sur les îles. Des moyens nouveaux également comme de nouveaux radars, la formation de 300 gendarmes et policiers auxiliaires mahorais, la création de nouvelles unités de gendarmerie, le renforcement du régiment de la Légion étrangère, l'extension du service militaire adapté, les pouvoirs renforcés en matière de saisie d’armes…, et le lancement de l’opération « Uhura wa shaba » (« rideau de fer » en mahorais). Un nouveau dispositif qui devrait renforcer les conditions d’entrée régulière et de résidence pour obtenir un titre de séjour ; la centralisation des demandes de reconnaissance de paternité pour tenter de freiner les fraudes ; les expulsions et destructions des bidonvilles facilitées pour le préfet…
Le président Macron a toutefois écarté la mesure la plus réclamée par les Mahorais, la suppression du visa territorialisé, exception mahoraise par rapport au droit commun. En effet, les titres de séjour délivrés à Mayotte ne permettent pas de se déplacer sur tout le territoire national. Les étrangers qui les obtiennent sont donc bloqués sur l’archipel, ne pouvant se rendre ni à La Réunion ni dans l’Hexagone. « Mayotte connaît une situation migratoire anormale », a pourtant reconnu Emmanuel Macron devant les élus.
L’Hexagone doit aider Mayotte en recevant ses étrangers légaux, estiment pour leur part de nombreux élus mahorais mais le sujet fait encore débat dans l’hexagone au regard des autres flux migratoires. Le Président lui-même l’a reconnu, ce territoire est en train de devenir une anomalie dans la République. Une enclave que d’aucun qualifie d’assiégée, abandonnée, reléguée. La restriction récente du droit du sol aux clandestins voté il y a peu est d’ailleurs sans garantie d’efficacité chacun le sait. Le conseil départemental a rappelé toutefois qu’il avait émis un avis réservé sur cette annonce présidentielle, même si l’effort a été salué. Le projet de loi devrait d’ailleurs être largement amendé au Parlement.
Alors, un projet global, ambitieux, pas assez, trop ? C’est toute la question qui se pose au lendemain de la visite présidentielle. Au-delà des annonces, ce sont les actes qui comptent. Et à Mayotte, les promesses n’engagent que ceux qui y croient encore.
Une France-monde, oui. Mais une France fidèle à elle-même, d’abord.
Les territoires ultramarins, ce ne sont pas des confettis d’Empire. Ce sont des avant-postes de la République. Ils assurent à la France une stature géopolitique unique, ils maintiennent la France à son rang celui de grande nation du Monde. Ils sont aussi un test de sa capacité à tenir ses promesses de justice, d’égalité, de solidarité.
Dès lors, les défendre, y investir et les intégrer pleinement, c’est leur donner les moyens d’exister par eux-mêmes. Ce n’est pas uniquement y envoyer des gendarmes ou des milliards. C’est y construire des universités, des ports, des hôpitaux, des routes. C’est y investir pour y installer un hub industriel entre l’Asie, l’Afrique, l’Inde et l’Europe. C’est y reconnaître les cultures, les langues, les mémoires. C’est y garantir les mêmes droits, les mêmes chances.
Dans l’océan Indien comme dans le Pacifique, comme outre-Atlantique d’ailleurs, la France a une voix. Mais elle ne pourra la faire entendre que si elle parle aussi à ses enfants les plus éloignés. Ce n’est pas qu’une question de diplomatie ou de défense : c’est une question d’humanité et de fidélité à notre devise.
Il est temps que la France regarde ses outre-mer non plus comme une charge, mais comme une chance. Et qu’elle s’en donne les moyens. Car une France sans ses territoires ultramarins ne serait plus tout à fait la France.
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